Il y avait une fois un grand et vieux continent, qui était gouverné par de grands et brillants esprits, venus de tous les pays de ce grand continent. L'un de ces pays avait une solide tradition agricole, et ses paysans cultivaient des céréales et élevaient de nombreux animaux, vaches, boeufs, moutons, volailles, etc... Mais les grands esprits trouvaient que ces cultures et ces élevages coûtaient cher, plus cher que ce qu'ils appelaient pompeusement le cours-du-marché-mondial. Comme ils étaient les maîtres, ils n'appliquaient cette comparaison qu'aux boeufs, moutons et céréales, et pas du tout à leurs salaires. Commes ils étaient plus communicants et tous formés dans de très grandes écoles, ils surent convaincre tous leurs concitoyens de la justesse de leur raisonnement. Les paysans furent condamnés, et bientôt on perdit même jusqu'à leur souvenir.
Alors les amis-des-animaux débarrassés de ces gêneurs incultes, remplacèrent dans une nature ayant enfin retrouvé sa pureté originelle, les ours, lynx, loups, qui la peuplaient il y a 1 000 ans. Et les grands esprits, durant leurs vacances purent enfin se reposer des fatigues de leur dures responsabilités dans une campagne sauvage, non polluée et propice à leurs profondes réflexions.
Cependant à mesure que les années passaient, quelques difficultés apparurent : la fontaine d'eau claire ne coulait plus devant leur maison ; les ronces et les buissons envahissaient les chemins et les sentiers, des incendies de forêt illuminaient de plus en plus souvent les belles nuits d'été parfois menaçaient leur demeure. L'hiver, la neige n'était plus déblayée. On dit même que certains avait rencontré de ces bêtes sauvages près de chez eux et que celles-ci ne leur avaient marqué aucun respect particulier. D'autres ajoutent que leurs compagnes ne voulaient pas demeurer dans des lieux aussi inhospitaliers.
Il fallait prendre des décisions. Le parlement fut saisi. Il nomma une commission qui délibéra et rendit ses conclusions : il fallait organiser un corps d'agents spécialisés dans l'entretien des campagnes. Ainsi fut fait. Ces agents furent mis en place. Ils travaillèrent de 8h à midi et de 14h à 17h30 sauf bien sûr le samedi et le dimanche qu'on appelait le weekend. Ils créèrent un syndicat. Celui-ci les défendit bien :
Alors le ministre du Budget dit que cela commençait à coûter trop cher, le Trésor Public ayant beaucoup trop de choses à payer dans ce vieux pays, d'autant plus que les fameux cours mondiaux, on ne sait pas pourquoi, avaient commencé à monter.
Il fallait à nouveau prendre des décisions : le Parlement nomma une commission. Celle-ci délibéra et rendit son rapport : elle proposait d'essayer d'utiliser la terre (et d'après de grands experts, ce devrait être possible), pour produire sur place ces denrées que l'on achetait de plus en plus cher. Ceux qui cultiveraient ces produits pourraient les utiliser pour eux, et même en vendre dans les villes voisines. Ces ventes pourraient même constituer tout ou partie du salaire de ces travailleurs d'un type nouveau. Certains de ces grands experts particulièrement clairvoyants firent remarquer que la terre étant mieux utilisée, les chemins seraient en meilleur état, et les bêtes sauvages écartées. Ils proposèrent même de réintroduire, s'il l'on en trouvait encore la trace, de ces bêtes ruminantes, appelées vaches ou moutons, qui, il y a des siècles broutaient l'herbe des champs. Cela en entretiendrait la campagne, éviterait peut-être quelques incendies et donnerait de surcroît de la viande que l'on n'aurait plus besoin d'aller chercher à l'autre bout du monde.
Ce rapport fut adopté. Un seul point restait en suspens. Quel nom fallait-il donner à cette nouvelle profession ? Un concours fut organisé entre grandes écoles. Comme on pouvait s'y attendre, ce fut, celle qui avait donné tant de grands esprits à son pays qui trouva pour ces travailleurs le nom le plus nouveau, le plus original, le plus évocateur et le plus moderne : on les appellerait des agriculteurs.
Charles Monge, Drômois
Ancien président de la Fédération nationale ovine (FNO)
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